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L'objet (a), semblant et «osbjet».

                                                                                    «Laissons le symptôme à ce qu’il est : un événement de corpslié à ce que: l’on l’a de l’air, l’on l’aire, de l’on l’a. Ça se chante à l’occasion et Joyce ne s’en prive pas». (Lacan, J. «Joyce le sinthome» in Autres écrits, p. 569).

 

Introduction.

Le fil à suivre, s’il est judicieux de considérer l’air comme objet (a), implique que soit donnée tout son poids à la différence que Lacan établit entre le moment constitutif de l’objet et sa fonction ultérieure dans la structure par l’introduction de l’Autre.

Lorsqu’il soutient le binaire inconscient transférentiel-inconscient réel, les indications de J.-A. Miller nous conduisent à prendre en compte une double fonction de l’objet (a) : comme semblant et comme le nomme Lacan« osbjet » dans la dernière leçon du Séminaire XXIII.

Il s’agit également de distinguer dans la clinique les effets de l’objet comme semblant, des effets comme OSBJET.

Cette double fonction du (a) qui traverse les structures cliniques peut contribuer à donner une consistance à une clinique « continuiste ».

 

L’objet avant et après l’introduction de l’Autre.

Dans la dernière leçon du Séminaire L’Angoisse[i], Lacan différencie le moment constitutif de l’objet de sa fonction dans la structure par l’introduction de la demande[ii]. Il pointe que « l’angoisse paraît avant toute articulation comme telle de la demande de l’Autre »[iii]. Cette manifestation de l’angoisse « coïncide avec l’émergence même au monde de celui qui sera le sujet »[iv].

Le cri est le signe du « premier effet de cession qui est celui de l’angoisse »[v], coupure originelle qui le dégage de l’oxygénation placentaire et « passe dans l’air »[vi]. La perspective de considérer le double statut de l’air comme objet en psychanalyse s’appuie sur les commentaires de Lacan dans le Séminaire L’Angoisse pour la dimension primordiale de l’objet, et sur  ceux figurant dans « Subversion du sujet… »[vii] pour le statut de l’objet pulsionnel.

Citons Lacan dans ce texte : « La délimitation même de la « zone érogène » que la pulsion isole du métabolisme de la fonction est le fait d’une coupure qui trouve faveur du trait anatomique d’une marge ou d’un bord : lèvres, « enclos des dents », marge de l’anus, sillon pénien, vagin, fente palpébrale, voire cornet de l’oreille. L’érogénéïté respiratoire est mal étudiée, mais c’est évidemment par le spasme qu’elle entre en jeu »[viii].

« Observons que ce trait de la coupure n’est pas moins évidemment prévalent dans l’objet que décrit la théorie analytique : mamelon, scybale, phallus (objet imaginaire), flot urinaire. Liste impensable, si l’on n’y ajoute avec nous, le phonème, le regard, la voix, le rien »[ix].

Il est remarquable que parmi cette série d’objets énumérés par Lacan, qu’il élargit à la voix et au regard, l’air n’y soit pas inclus. L’hypothèse est qu’à cette période, Lacan fonde le statut de l’objet en relation avec la demande et le désir  et qu’à cet égard il range le caractère central de l’air hors de toute série.

L’angoisse éprouvée lors du déclenchement du réflexe respiratoire réduit principalement le statut de l’objet et met en place une surface topologique spécifique, ce qui nous permet de concevoir l’air comme un objet relatif à l’inconscient non transférentiel ; la crise d’angoisse, dans la clinique, le concerne structurellement.

 

Scansion spasmodique du flux respiratoire.

D’un autre côté, c’est dans sa relation avec le fait de parler que l’air est repéré comme objet pulsionnel articulant l’inconscient transférentiel et le corps. Conformément à son rôle comme objet de l’angoisse, l’air a un statut métapsychologique comme noyau réel du Moi corporel où le corps se jouit dans sa totalité libidinale d’un UN et un statut économique comme objet pulsionnel relatif à un bord specifique (ici c’est le partiel qui définit le pulsionnel).

Si nous admettons que l’exercice effectif de lalangue est une émission sonore qui a pour effet la scansion spasmodique du flux respiratoire modifiant le rythme basal alors la coupure concomitante détache l’air comme objet.

L’air comme objet n’est ni celui  de la demande ni celui du désir mais celui de l’angoisse. C’est ainsi que nous pouvons entendre comment « cette jouissance primaire qui serait toute, positive, pleine, voire naturelle…préalable à toute relation à l’Autre »[x] est intervenue non pas par la parole en tant que signifiant mais par l’émission éprouvée de bouts de lalangue comme sécrétion du corps.

Cettte coupure, cette efficacité de lalangue dans la dynamique respiratoire, en promouvant l’air comme objet de l’angoisse permet de saisir que là il s’agit de l’angoisse de castration non oedipienne puisque la machinerie de lalangue est avant tout régime.

 

Le suspens coupe le souffle.

Pour Lacan l’affect est effet sur le corps de l’incidence de lalangue. D’un autre côté le langage en tant que structure est un appareil qui fait que les cordes vocales vibrent de plaisir en travaillant pour le maître structurant.

De cette jouissance primaire subsiste un reste irréductible qui accompagne toute émission de parole. Toute émission de parole est pulsionnelle tant qu’il y a satisfaction dans la modification du rythme respiratoire qui accompagne nécessairement le fait de parler.

Le rythme respiratoire est toujours prompt à être touché par le symbolique et l’imaginaire. Le suspens – celui d’Hitchcock, du casino, du tir aux buts, du penalty, de la révélation d’un diagnostic histopathologique, de l’intuition d’une intervention imminente de l’analyste ou celui d’un dialogue amoureux – quand il coupe le souffle, qu’est ce d’autre que cela ?

L’excitation sexuelle et l’apnée qu’elle provoque, les claustrophobies, les baîllements, les fantasmes de noyade, le soupir, le souffle vital, les gémissements, les aspirations et inhalations, les toximanies, l’angoisse corrélative à la dyspnée et la dyspnée corrélative à l’angoisse, l’itération apnéïque du bégaiement, les déséquilibres de la « colonne d’air » chez les chanteurs, impliquent toujours des événements de corps.

L’air, pris dans sa condition d’objet, est un reste de l’opération métaphorique par laquelle l’organisme est remplacé par le corps et s’inscrit comme objet de l’angoisse, faisant en sorte que le fait de parler, l’émission de voix, n’émerge sinon d’un corps libidinal.

 

L’objet air, corps et effet de sens.

En tant qu’objet de l’inconscient réel il est à la base de la construction du corps comme imaginaire. Pour Miller une sorte de généralisation du tore ou chambre à air se constitue dans le fil que suit Lacan dans son tout dernier enseignement, support qui justifie que « l’on recourt à l’imaginaire pour se faire une idée du réel »[xi] comme le souligne Lacan lors de la première leçon de L’Insu...[xii].

Pour Miller ce nouveau visuel[xiii] soutient la thèse lacanienne selon laquelle « la structure de l’homme est torique »[xiv].

Miller  a donné « beaucoup de valeur à l’effet de trou joint à l’effet de sens »[xv]. Dans cette perspective il extrait du Séminaire le Sinthome[xvi] une référence cruciale concernant le sens. Il dit qu’ici Lacan propose une origine corporelle au sens en ces termes : « le sens est aspiré par l’image du trou corporel dont il est émis. Il est question d’une sorte de respiration du trou. »[xvii].

Alors que le sens et le regard concernent l’imaginaire, précise Miller, le sens, au contraire dépend d’un trou à dynamique centripète. Nous pouvons dire qu’il est aspiratif.

A partir de cette plateforme conceptuelle, le tore ou chambre à air, comme véhicule pour atteindre le tissu de l’inconscient, est un appui fondamental pour réduire la béance entre l’imaginaire et le réel. Cela nous conduit à inclure l’objet air à une surface qui part du bord des lèvres et définit un nouveau bord dans l’espace rhinopharyngien, espace dans lequel commence le diverticule laryngotracheal-bronchique.

Surface qui configure le sac « dans lequel on souffle »[xviii] sac à travers lequel Lacan questionne la sphère en tant que mythe. Sur cette surface, ces bords sont l’endroit d’où opère lalangue, dans la coupure itérative du flux respiratoire.

 

Double statut de l’air comme objet.

D’une part l’air comme objet (a)-osbjet[xix] est celui qui, découpé par lalangue, scande la respiration basale, assure à l’organisme anatomique les conditions pour être le UN corps-PRE-SPECULAIRE du parlêtre. Surface libidinale impliquée dans la jouissance du trauma, correlative du moment constitutif de l’objet.

D’autre part l’objet (a) comme semblant, peut se mettre en série avec les objets lacaniens, c’est l’objet de la « pulsion pneumatique », générateur centripète de l’imaginaire du sens. Cela implique la satisfaction de la pulsion en tant que partielle et référée à des phénomènes de bord.

Comme objet il est primaire, il préexiste à l’Autre. Dans la clinique c’est l’objet impliqué dans ce que l’on appelle « crise d’angoisse » ; il appartient à l’inconscient réel et en tant que tel il n’a pas le statut de semblant. Le signe de sa présence est dû à l’effet de dénouage sinthomal.

Comme objet (a) semblant, il participe aux formations symptomatiques, fantasmatiques et pulsionnelles des plus variées et plus particulièrement à l’angoisse comme l’un des trois nouages sinthomaux proposés par Lacan.

Si l’air est bien un objet, il incite à ce qu’un programme de recherche se poursuive afin d’éclairer les conséquences cliniques de chaque zone érogène en vertu du statut réel-répétition ou transférentiel-répétition de la fonction de ses objets.

 

 

Traduction : Véronique Outrebon

 

[i] Lacan, J. Le Séminaire livre X, L’Angoisse Le Seuil Ed., 2004.

[ii] Ibid. Leçon du 3 juillet 1963.

[iii] Ibid.

[iv] Ibid.

[v] Ibid.

[vi] Ibid.

[vii] Lacan, J. Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien in Ecrits 2.

[viii] Ibid. P.817.

[ix] Ibid.

[x] Miller, J-A, Les divins détails, Orientation lacanienne, cours du 17/05/89.

[xi] Miller, J.-A, Le tout dernier Lacan, Orientation lacanienne, cours du 30/05/2007. Editions de la Martinière, 2017.

[xii] Lacan, J. Le Seminaire 24, L’insu que sait de l’une-bévue…, leçon du 16/11/76, inédit.

[xiii] Miller, J.-A, Le tout dernier Lacan op. cité.

[xiv] Ibid.

[xv] Ibid.

[xvi] Lacan, J., Le Séminaire livre XXIII, Le Sinthome, Le Seuil Ed., 2005.

[xvii] Miller, J.-A, Le tout dernier Lacan, op. cité leçon du 17/01/07. Editions de la Martinière, 2017.

[xviii] Lacan, J., Le Séminaire livre XXIII op. cité, leçon du 11/05/76, Le Seuil Ed., 2005.

[xix] Ibid.