< return

La discrétion de la lettre volée

La catégorie du «discret» articulée à la «Lettre volée»[i] évoque le nom de «trencadis»,[ii] permettant ainsi un rapprochement avec la subtilité impliquée par la clinique de la psychose ordinaire. Au contraire de l’indiscret et de l’ostentation, la lettre volée est discrète.

La discrétion (dans la psychose ordinaire) sert d’orientation à l’époque de l’Autre qui n’existe pas.

Sa mise en évidence ne va pas de soi. Sa couleur, son intensité ou son éclat lui permettent de se fondre dans une apparence autre, au point d’apparaître comme une normalité supposée. On ne voit pas d’emblée ce qui est évident. Autrement dit, elle ne fonctionne pas comme une exception, elle s’oppose à l’indiscrétion et à l’extraordinaire, pour donner à croire, pour faire illusion.

L’emploi de l’adjectif discret, que le premier enseignement de Lacan a mis en rapport avec le signifiant pour indiquer la discontinuité de la chaîne signifiante faite d’éléments différents et séparés, prend une tournure déconcertante dans son dernier enseignement: au-delà de la relation d’un signifiant à un autre, il s’agit de rendre compte qu’il y a le signe, lequel n’est pas en rapport avec un autre signe mais impliqué dans la relation avec le un tout seul. C’est ce que montre l’équivoque en jeu, en anglais, dans le mot «lettre» — entre letter et litter. La lettre (letter) séparée du message qu’elle contient devient litter, objet, déchet. Là où il n’y a plus de sens… il y a signe, réel. C’est la lettre qui marque (littéral) et qui fait littoral entre jouissance et savoir: une lettre que Lacan a appelée sinthome. Elle rend compte de la singularité qui rend chaque sujet inclassable, en introduisant une continuité lui permettant différents modes de nouage.

La clinique de la psychose ordinaire révèle cet aspect discret du signe. Inclassable et singulière, elle n’entre dans aucune classe, elle reste en dehors de toute universalité.

De petits indices, pouvant passer inaperçus, se situent «au joint le plus intime du sentiment de la vie chez le sujet»[iii] et correspondent aux différentes modalités par lesquelles ledit sujet tisse une trame sur le trou pour éviter de s’y précipiter. Soit, comme l’a dit Miquel Bassols, «des événements de corps discrets, des ruptures de sens dans le glissement de la signification, des phénomènes voilés d’allusion, des suppléances minimales par lesquelles le sujet soutient la stabilité fragile de sa réalité psychique. Ces phénomènes étaient là, à la vue de tous, mais par leur fréquence, ils se fondaient dans le paysage de la normalité.»[iv]

La discrétion de la «lettre volée» (dans les deux sens du mot «lettre») permet de considérer celle-ci comme une pièce détachée: cela peut être appliqué aux signes et/ou aux solutions discrètes de la psychose ordinaire, mais aussi aux signes discrets de la féminité et à ceux dont témoignent chaque analyste. Autant d’inventions qui permettent – pourquoi pas? – de penser mettre dans une même série, psychose ordinaire, féminité et passe.

 

(Traduction: Patrick Monribot. Relecture: Marie-José Asnoun)

[i] Lacan J., «Le séminaire sur «La Lettre volée »» (1956), Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 11-61.

[ii] Céramique catalane composée d’une mosaïque de petits morceaux séparés, façon Gaudi. [NdT].

[iii] Lacan J., «D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose» (1957-1958), Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 558.

[iv] Bassols M., «L’éloge de la psychose ordinaire», inédit, Journées de l’ELP, Madrid le 20 novembre 2016.