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AMP 2018 : une évidence d’avance

Le puritanisme du début du vingtième siècle fut choqué par l’annonce freudienne des restes irréductibles de jouissance, le surmoi la faisant flamber à la hauteur de sa férocité ; puis, au milieu du siècle, la psychologie du moi se sentit disloquée par la suprématie du signifiant qui darde, vise le réel et par le fracassant effet sujet ; quant à la fin du siècle, elle trouva inouï de dissonance le « tout le monde est délirant »i de Jacques Lacan. Chaque fois le contemporain suffoque de ce que l’époque suivante considère comme son évidence.

Un trait tweeté dans une humeur de Président réveillé du pied gauche et reçu par un autre Président se trouvant en mode maussade peut vous faire déferler le réel sur toute la planète. Le comble dénudé du trait est l’insulte. Le réel y résonne comme la cible à la flèche. Délirant non ? Il n’y a pas que la forclusion d’un signifiant qui entraîne un retour dans le réel. Voilà que le signifiant provoque le réel et que le réel se mettrait à lui répondre cinq sur cinq, et pas que dans la science.

Pour son congrès, l’AMP montre pour le XXI° siècle comment elle a déjà ouvert une nouvelle porte. Celle d’une clinique qui tient compte de la forclusion généralisée articulée par Jacques Alain Miller dès son cours de 1987, Ce qui fait insigne. La forclusion comprise comme rejet dans le réel, « interférence du symbolique dans le réel »ii, doit s’entendre à partir du dernier enseignement de Lacan, en tant que mode touchant à l’occasion l’objet et le laissant exister hors symbolisation et médiation discursive. Le cas de l’homme aux cervelles fraîches de Kris, repris par Lacan, et à plusieurs reprises commenté par J-A Miller, présente à cet égard et de façon cruciale une clinique spécialement parlante. (à condition de la faire parler avec la construction de la forclusion généralisée). Cette clinique est aussi éclairante que celle de Schreber pour les psychoses extraordinaires que nous sommes accoutumés à considérer à partir de la forclusion du signifiant du Nom-du-Père. Le cas de l’homme aux cervelles fraîches n’est pas diagnostiqué de psychose. Lacan l’épingle d’anorexie quant au mental et ce n’est pas au titre d’un classement diagnostique dans un cadre nosographique que nous le rapprochons ici de celui de Schreber. L’articulation vise bien plutôt le passage de la forclusion d’un signifiant du Nom-du-Père à la forclusion généralisée. L’acting-out est une hallucination, souligne J-A Miller et son commentaire de l’objet oral « primordialement retranché » décrit par Lacan page 398 des Ecrits est à lire avec le sérieux qu’imposent les données de notre époque : la « montée au zénith » de l’objet concerne bien autre chose que l’objet a, que l’objet freudien toujours déjà perdu. La forclusion aussi bien touche l’objet.

Dès lors, c’est avec la fonction du symptôme, dont Lacan souligne que « d’une moitié l’analyste a la charge : sans lui, pas de symptôme achevé », que peut s’envisager la tempérance de délire touchant tous les parlêtres : qu’ils relèvent d’une névrose, à standard à l’ancienne avec Nom-du-Père, d’une psychose extraordinaire ou d’une forme ordinaire où l’objet vient à exister sans qu’un jugement d’existence ait symboliquement permis au sujet de s’en séparer.

C’est au cas par cas que les psychanalystes de ce début de siècle ont à démontrer l’invention du nouage par le symptôme. Une clinique s’en dégage, s’invente. Elle répond à l’encore inouï que l’époque prochaine considérera comme allant de soi. La façon dont le monde est fou est pas toute résorbable et souvent varie. Bien fol qui à la précédente version se fie.

i Lacan J., « Lacan pour Vincennes », Ornicar n° 17/18, Paris, 1979, p. 278.

ii Miller J-A., Cours « Ce qui fait insigne », 3 juin 1987