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Brossa, le poète visuel. Le passage du langage à l’objet

Joan Brossa[1] a utilisé de nombreux registres et genres différents, il nommait tout ceci poésie. La poésie littéraire, le théâtre, le cinéma, la poésie visuelle, les objets, les affiches, les installations, les poèmes corporels, « tous sont les faces d’une même pyramide » disait-il.

Brossa était un passionné de magie et d’illusion, qu’il considérait comme une nécessité de changement. Il envisageait l’illusion comme un moteur, le hasard comme un facteur important et l’absurde à réhabiliter. « Tout ceci pour ouvrir des fenêtres sur la réalité, cela doit être un point de départ et non pas d’arrivée ».

Lacan[2] trouve dans la poésie le paradigme qui devrait inspirer « l’interprétation analytique »

« il n’y a que la poésie qui permette l’interprétation ». Il ne s’agit pas de n’importe quelle poésie, mais d’une poésie « qui est effet de sens mais aussi bien effet de trou ». Le tour de force du poète est « de faire qu’un sens soit absent ».

Brossa décrit la poésie visuelle comme un processus à l’intérieur de son œuvre. « J’ai commencé à exprimer des choses à travers le langage, ce qui était très important, mais arrive le moment où j’adopte une formule anti-réthorique, en cherchant le cadre de la réalité mais avec le minimum d’adjectifs, car ce qui m’intéresse c’est la tête et non la perruque.. Ceci m’a conduit à une description minutieuse de l’objet, et de là à la poésie visuelle il n’y a un pas ».

L’artiste indique que certains de ses poèmes se trouvent à la limite de la littérature. Ce sont ses recherches plastiques et mentales, qu’il ne trouve pas dans le récit courant, qui le mènent à la poésie visuelle. Celle-ci permet au poème de sortir des livres et de s’exprimer dans une autre dimension.

« Il ne s’agit pas seulement de changer de support et d’écrire des vers sur un mur ou un panneau publicitaire mais de chercher une nouvelle structuration du poème entre la visualisation et la sémantique ».

La recherche de Brossa tourne, pour lui,  autour de trois éléments essentiels : la poésie, l’action et la vision.

Concernant ce point, la poésie qui génère un vide, Eric Laurent[3] développe que « c’est une sorte de version du littoral, soit ce qui sépare deux choses qui n’ont entre elles aucun moyen de tenir ensemble, ni aucun moyen de passer de l’une à l’autre » ; la possibilité de maintenir ensemble ce qui ne tient pas ensemble, la réalité et le sens.

 

Traduction : Véronique Outrebon

[1]    Joan Brossa (1919-1998) est le poète avant-gardiste catalan et Barcelonais le plus illustre de la seconde partie du Xxème siècle

[2]    Lacan J., « l’insu que sait de l’une-bévue… » leçon du 19/04/77, Ornicar ? 17/18 et leçon du 15/03/77

[3]    Laurent E., « la lettre volée et le vol sur la lettre », Revue de la Cause Freudienne n° 43 P. 30