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Interview à Sofie Muller: La singularité d’une artiste. Sur la fragilité, les blessures et cicatrices

Sofie Muller (°1974) a créé un œuvre complexe et intrigant. Elle a été intéressée dès le début par la vulnérabilité de l’être humain. Cela peut-être aussi bien la beauté que la fragilité. Les thèmes se déploient entre la transsexualité et les blessures, les stigmates. Elle a eu des expositions partout en Europe.

Elle a été interviewée par Joost Demuynck, membre de l’AMP, La NLS et le Kring voor Psychanalyse. Il travaille à Bruges (Belgique).

Sofie, on ne peut pas manquer l’importance du corps dans les diverses périodes de votre œuvre. Au début il y avait le thème de la transsexualité par exemple.

vitrine fullscale 2012

Les changements d’un corps m’ont toujours fasciné. A ce temps j’avais un ami, chirurgien, qui opérait des transsexuels. Mais le thème des transgenres faisaient les gros titres dans les journaux.

Mais ce qui précède, c’est que mes parents étaient des antiquaires. Comme enfant je regardais déjà des tableaux de la renaissance et les sculptures médiévales dans la maison et le magasin. C’était le Christ soufrant qui était principalement représenté et cette représentation me fascinait et m’angoissait. Chez mes grands-parents qui habitaient dans une ferme authentique de 1641, il y avait un tableau représentant la décapitation d’Egmond et Horne. Dans cette ferme obscure où tout grince et gémisse, ce tableau devenait presque vivant. Déjà passer par là pour aller aux toilettes, me demandait comme petite fille beaucoup de courage.

Shemale

Shemale est une statue de cette première période, une petite fille chouette avec un pénis. Vue du dos, la Reine Fabiola était très charmée jusqu’à la découverte du pénis de cette fille urinant debout. Mais il y a aussi cette petite fille qui dessine avec son sang des cercles sur le mur. Le corps comme une fontaine à sang ? Vous avez utilisé votre propre sang dans beaucoup d’œuvres, vous y mettez tout votre corps ?

Eve

Cette fille ‘Eve’ se donne, c’est ce qui est attendu d’elle. C’est une fille qui s’offre comme le pélican dans la bible. Elle s’écrit vide. Elle est devenue presque, sauf ses pieds, pâle. Sauf ses pieds ont encore un peu de couleur sinon elle s’est vidée en écrivant.

L’usage du sang dans mes œuvres a été tout un processus. J’avais commencé par le sang de théâtre, puis des bovins et finalement mon propre sang. Ce sont des processus mentaux où il faut passer. Mais le sang humain est l’essence de la vie. Dans ces dessins, il s’agit de la source de la vie.

Une autre période dans votre œuvre sont les ‘psychonomics ’, des têtes qui s ’attirent ou se rejettent à cause des petits aimants. Dans les installations dans votre galerie Geukens et De Vil à Anvers, vous avez les montées dans une installation et les pourvues des instruments médicaux ?

psychonomics

Tout d’abord toutes ces figures sont singulières, elles ont toutes leurs propres traits, retirées dans leur propre monde. Les aimants représentent le côté sociologique, l’interaction. Pour moi il s’agit de l’attirance et le rejet entre les hommes. Il y a aussi des sculptures qui se touchent presque mais pas vraiment. Les grandes installations donnent une image de la société qui cherche à s’équilibrer. Les instruments médicaux sont en verre et donc fragiles. Il s’agit de la manipulation que nous subissons dès la naissance. L’air que nous aspirons, la nourriture, les médicaments etc. Ce qui m’occupe c’est à quel point nous sommes celui qui nous pensons d’être ? L’influence de l’extérieur est énorme.

Seulement Sofie, les médicaments ne changent pas le contenue de nos pensées ? Ne sommes-nous pas formés par les paroles de l’autre ?

Enormément, l’éducation cela aussi. Je le constate de plus en plus, car je me suis intéressée aux structures, des choses de vos parents, grands-parents, est-ce que nous pouvons être libre ? Nous suivons un chemin déjà tracé, sans en être conscient.

L’art n’est pas simplement une expression de ces structures qui se répètent, mais aussi une transformation ? Une manière de savoir y faire avec ?

C’est horrible comment on découvre des traits d’un autre, d’une tante, d’une grand-mère. Parfois on essaie de s’en libérer, mais c’est difficile, c’est gravé dans le marbre.

Ce thème revient dans la dernière série de sculptures. Il y a une belle citation d’Hippocrate. Ce que les herbes ne peuvent pas guérir, il faut le fer, et ce que le fer ne peut pas, le feu le peut. Comme médecin on commence à guérir par les médicaments, si cela n’aide pas, il y a les interventions chirurgicales et finalement il y a le feu. Le feu comme les chimiothérapies.

Dans la psychiatrie, il y a le retour des électrochocs.

Encore maintenant ?

Tout cela est dans ces sculptures. J’utilise le feu, ces têtes sont passées dans le feu, j’utilise la fumée pour faire des dessins. Mais la fumée donne aussi une peau à ces têtes, une patine. Mais il y a aussi un effet d’effacement. Le feu a été toujours présent dans mon travail.

Pour le moment il y a une exposition à Vienne, où tous les quatre périodes de mon œuvre sont présentes.

modèles en plasticine

Oscar est une des premières figures. J’avais commencé un dessin avec le fusain mais comme ça ne marchait pas, j’ai expérimenté avec la fumée. Cela m’a coûté des mois afin d’arriver à un résultat satisfaisant. Finalement j’ai trouvé un moyen pour mettre des différentes couches sur papier. C’est comme l’apparition d’un fantôme sur papier. Ce sont des matériaux non conformistes mais qui pour moi ont un rapport avec l’essence de l’être.

Barbara

Finalement Sofie, les sculptures en albâtre, les visages aux cicatrices ?

L’albâtre est une pierre fragile, délicat. Il est plus doux que le marbre. J’ai une sculpture en albâtre dans la maison, une pietà en albâtre. C’est une pierre qui n’était pas utilisé couramment. Ce pietà est en mauvais état. Mais en fréquentant cette statue quotidiennement, je me suis dit : je veux être capable de faire cela. Cette pierre est si proche de nous humains. Il a tout en soi. C’est la pierre la plus intéressante, mais si elle a une connotation inférieure chez les tailleurs de pierres. Ceux-là préfèrent une pierre dure comme le granit. Mais l’albâtre est translucide, transparente, c’est merveilleux. Je me trouvais dans une situation difficile, je venais de me divorcer, je devais me retrouver. J’ai commencé à étudier, j’ai fait des voyages en Italie, j’y ai suivi des cours, aussi en Belgique et dans les Pays-Bas. Et finalement chez Bob Wellens. J’ai du tout recommencer comme j’avais l’habitudes de commencer en pâte à modeler. Je voudrais vraiment maîtriser la technique à tailler la pierre et maintenant je peux donner à une pierre la forme que je veux.

J’ai commencé à chercher de l’albâtre qui était blessé, de l’albâtre qu’on ne trouve pas car tout le monde veut travailler dans des pierres entières, pures, pleines. Je fréquentais toutes les magasins afin de trouver des pièces que personne ne voulait, des pierres blessées, touchées. Et les cicatrices dans l’albâtre devenaient les cicatrices de l’homme. Des blessures et des cicatrices avec lesquelles on doit savoir faire avec.

tête en albâtre 1

Ce sont des têtes incroyables, la fragilité de la pierre et de l’homme y est tellement présente, les blessures, fractures de notre vie y sont magistralement représentées.

Maintenant j’ai des amis et des personnes qui m’aident à trouver de telles pierres et ils m’envoient des photos. En fait ce sont des débris, des déchets. Mais c’est la pierre qui formera le visage, le portrait. Ces sculptures sont finalement très simples ; mais la matière y est très importante.

Est-ce qu’on peut dire que vous partirez des blessures dans la pierre ?

Généralement je pars d’une idée, que je donne une forme en pâte à modeler. Des petites têtes en plasticine, c’est la base. J’y prends des photos sur lesquelles je dessine, les pièces que je veux enlever. Puis je cherche une pierre dans tout ceux que j’ai collectionnée. Il arrive que ce soit la pierre elle-même qui m’inspire par sa forme. Enfin, les deux sont possibles.

Donc Sofie, c’est le hasard présent dans la pierre qui vous inspire ?

Oui, c’est vrai, tout tourne autour du hasard. Finalement on ne sait jamais comment cela va finir. Une craque à l’intérieur de la pierre peut détruire tout un travail. Un albâtre est un tubercule, on ne sait jamais s’il y a quelque chose dedans. Parfois c’est merveilleux, parfois c’est décevant. Parfois on découvre des cristaux, parfois tout est à recommencer. Rien n’est contrôlable, c’est difficile mais captivant. Il y a une évolution. Récemment j’ai découvert quelques minéraux en forme d’une oreille que j’ai ajouté à un albâtre.

tête en albâtre et oreille rouge

Sofie, vos sculptures ne contiennent pas simplement des fractures, des blessures ou cicatrices, il faut encore votre corps ! Il faut apporter votre corps, c’est un travail lourd !

Certainement, au début c’était très lourd, je taillais environs 8 heures par jour. Je passais une période de deuil, et mon travail était par moments destructif. Mon épaule était surmenée. Le médecin me demandait de m’arrêter quelques semaines. J’étais en train de me détruire. Mais c’est un travail qui m’occupait totalement. A ce moment travailler m’était nécessaire. Quand il y a quelque chose qui rate dans votre vie, on peut l’infléchir à autre chose.

Chaque crise a son produit ?

Oui, en soi c’est positif, on obtient une autre vision des choses, on rencontre des nouvelles choses. Je suis beaucoup plus alerte. On s’ouvre à du nouveau. Autrement on est dans ses habitudes, ses répétitions, la crise provoque un ‘switch’. Finalement c’est plus intéressant !

tête en albâtre 3

Merci Sofie pour toutes vos paroles.

Récentes expositions :

Ecce Homo, Musée Mayer Van Den Bergh, Anvers, untill 17 February 2018

Rethink duality, Galerie Michaela Stock, Wien

Biennale Venice, expo Intuition, Palazza Fortuny

Ithaca Galerie Martin Kudlek, Cologne

Mental sculptures, Biala Galeria, Poland

www.sofiemuller.be